Un des rares textes que je n'ai pas détruits arrivée à l'âge "adulte".
GULF STREAM
J’ai tous les vents du Gulf Stream dans la tête. Je regarde le monde vivre dans son aquarium. Il nage sans comprendre. La lucidité noie. Panique paralysante de la raison. La routine seule peut le sauver. Lancer, écarter, ramener ; lancer, écarter, ramener……. Recommencer : brasse naturelle de l’aliénation. La tête hors de l’eau, sans voir la réalité.
Je le regarde sans l’entendre. Une vitre me sépare de lui. Je l’ai dressée un soir de colère. Je ne peux plus la briser. La boue a séché. Même en fermant les yeux, je sens sur mes paupières sa puanteur ; elle colle à mes narines et coule dans mes lèvres. La souffrance m’enfonce les épaules. L’indifférence me tue. Je ne reconnais pas le monde, il ne me reconnaît plus. Ramener, écarter, lancer, écarter, ramener…… je ne sais plus. Il continue sans moi à nager dans cette eau fétide. Sans la voir. Interdit sous peine de mort.
Mais, j’ai tous les vents du Gulf Stream dans la tête. Son courant m’emporte loin de la fange. Loin de la vase du rivage. Il me conduit vers des fonds sans fin. Vers des fonds si clairs. Je m’y laisserai glisser avec ivresse. Sans défense……Jusqu’au réveil.
Juillet 1970